Historique du voyage dit d"aventure" - 2001 - 2007

Reprenant l’article précédent résumant le développement du voyage dit d‟aventure″ de 1969 à 2001, nous comprenons que le point de départ de son évolution, qui constitue cette suite, est l’abandon des guides diplômés sur le Kilimandjaro par Club Aventure en 1997.

Interpellant l’un des deux fondateurs de l’agence Atalante sur cette question en 2007 dans la lettre de démission que je venais d’adresser à l’ensemble des employés de l’époque, voici la réponse qu’il m’adressa :

« J’étais en charge du secteur Afrique et nous étions leader sur le Kilimandjaro, avec des séjours accompagnés par des accompagnateurs français et d'un guide local.

Une saison, Club Aventure a supprimé de son organisation sur le Kilimandjaro, les guides français, réduisant ainsi le prix de vente de 1500 à 2000 Francs.

Nous avons tenté une saison de résister, le secteur s'est écroulé, nous avons pesté, et puis nous avons dû emboiter le pas avec de la formation, de la réorganisation… Nous avons maintenu des voyages et logistiques exceptionnels (j'en ai guidé un certain nombre) ».

Notons ceci dans ces propos :

C’est le mot « accompagnateur » et non guide, qui est employé, or, le terrain du Kilimandjaro exige les qualifications de guide de Haute montagne…

Le co-fondateur d’Atalante était-il légalement habilité à encadrer ces voyages ?...

Le début des années 2000 a vu, par conséquent, cette logique de réduction des coûts par l’abandon des accompagnateurs et guides diplômés se répandre comme une trainée de poudre.

J’en fis les frais dès 2001…

Je venais de passer deux ans et demi – de mai 1998 à Novembre 2000 - à réorganiser intégralement les destinations Cuba et Équateur pour Atalante, avec mes contacts locaux, et d’accompagner cinq voyages sur ces destinations afin de les finaliser, ceci en lien avec la cheffe de produit Amérique de l’époque.

Outre le fait que ces tâches ne figurent pas sur mon relevé de carrière… et représentent donc du travail dissimulé…, j’eus la surprise de me voir annoncer que ces voyages basés sur ma connaissance unique de ces pays, et reconnaissances personnelles, seraient dorénavant encadrés par des guides locaux payés en Pesos cubain… ou en dollars en Équateur, ce dès le mois de janvier 2001 … Alors que je venais tout juste de finaliser leur mise en brochure…

Par conséquent, Je n’en ai accompagné aucun pour Atalante à partir de ce moment-là…, tandis que je venais de me voir attribuer le premier contrat d’intérimaire, via une société de portage salarial…, des trente-neuf qui d’ensuivirent…

Cependant, en 2001, Atalante avait encore besoin de guides et d’accompagnateurs expérimentés et qualifiés.

En effet, elle venait de signer un fabuleux contrat pour l’organisation de 52 voyages : un par semaine sur un an !

Je fus sélectionné pour y participer avec douze autres collègues, et créais donc trois voyages exceptionnels aux îles Eoliennes, et en Calabre, après en avoir accompagné un au pied levé en Tanzanie (début de la seconde guerre du Golfe) …

Il s’agissait d’une expérience humaine remarquable, imaginée par un décideur et chef d’entreprise atypique qui s’adressait non pas aux meilleurs commerciaux mais aux simples employés venus du monde entier de cette entreprise multinationale.

L’idée était de les faire se rencontrer dans le cadre d’un voyage exceptionnel dont ils ne connaîtraient rien à leur départ, en dehors des effets personnels et affaires à emporter.

Ces voyages reposaient sur le savoir-faire d’un guide médiateur de terrain, informé au préalable de l’esprit et de l’activité de l’entreprise en question (nous fûmes invités à Paris et Lyon pour les découvrir).

La formule toute simple de partir sans connaître le programme a donné des résultats extraordinaires, par le fait que nous sortions des schémas-types, des idées préconçues, des standards, et surtout, il s’agissait de faire une totale confiance à un médiateur de terrain, passionné, connaissant la destination et impliqué totalement dans l’élaboration du projet.

Cette expérience tendait à prouver que sans ses guides historiques, le voyagiste d‟aventure″ ne disposait d’aucun savoir-faire propre, en dehors de ceux apportés par ses fondateurs…

Cependant, en 2004, la plupart de ces guides historiques avaient déjà disparu des agences et des catalogues… Le portage salarial ou l’intérim, relayés par l’ASSEDIC…, se révélant de formidables alliés pour les employeurs…

 

Le point de départ chez Atalante de la période consistant à racheter d'autres agences dans le but de limiter les coûts de production et de réaliser des économies d'échelle débutat par le rachat du voyagiste belge Continents Insolites en 2002…, qui lui servit de modèle à suivre durant plusieurs années…

Pourtant à cette époque, Atalante avait encore besoin de guides – concepteurs de voyages.

En effet, elle était très en retard sur la concurrence dans la zone Europe.

C’est ainsi que je fus missionné en Grèce et Crète, en Sicile (Etna et îles Eoliennes), en Slovénie, puis en Croatie pour créer de nouveaux séjours.

La reconnaissance que j’effectuai en Croatie en 2004 (12 heures par jour pendant 18 jours) permit de créer deux séjours : un de 8 jours et l’autre de 15 jours sur des sentiers qu’aucun autre voyagiste n’utilisait et ne connaissait, puisqu’à cette époque seules une ou deux agences locales non spécialistes des voyages à pied proposaient des programmes aux agences françaises. Conséquence : elles vendaient toutes les mêmes itinéraires…

Alors qu’elle supprimait partout les accompagnateurs professionnels, qualifiés et diplômés, Atalante se servit de cette reconnaissance en Croatie pour rédiger un article mettant en avant son savoir-faire « artisanal » sur cette destination en vogue.

Je servis donc de faire-valoir en répondant à une interview, publiée sur Internet où mon nom apparaissait pour la première fois…

En voici quelques extraits :

« Question à Jean-Pierre, défricheur d'itinéraires

Tu reviens d'une reconnaissance de terrain en Croatie. En quoi consiste une reco ?

L'objectif d'une reco est de créer des circuits originaux, basés sur une bonne connaissance du terrain et des itinéraires inédits.

La reco peut se réaliser dans un pays déjà connu dont on maîtrise la langue et la culture, mais aussi dans un pays nouveau où la langue est difficile comme en Croatie que je découvrais.

La connaissance du terrain repose alors sur un réseau d'amis et de rencontres qui permettent souvent une approche originale et une réelle immersion.

Cette connaissance est primordiale pour réaliser de bons itinéraires, équilibrés et variés, qui ne soient pas qu’une reprise des rubriques "à voir" des différents guides touristiques.

Muni d'un GPS et d'un dictaphone pour noter le détail des itinéraires, je démarre vers 6 heures pour être prêt à randonner dès le lever du jour et termine au crépuscule.

Après quoi, j'assure ma propre logistique, prends des notes sur le déroulement de la journée et prépare la suivante…

Quelles difficultés as-tu rencontré en Croatie ?

Dans ce pays qui redécouvre le tourisme, la culture de la randonnée n’existe pas.

Donc : pas de cartes, pas de sentiers préservés pour un trafic muletier disparu, pas d’indications hors des routes nationales, peu de transports locaux, pas de correspondance entre bateaux et bus.

De plus, en octobre, les journées sont courtes, la saison quasi terminée et les hôtels presque tous fermés.

Beaucoup de sentiers se terminent dans un champ, une propriété privée, sur une route sans intérêt. Et, en dépit d’une bonne préparation et d’une certaine expérience, ce sont environ 50%, parfois plus, des sentiers empruntés que je ne retiens pas pour les futurs voyages.

La reconnaissance est une course contre la montre où tout moment perdu pour des choses sans intérêt ne se rattrape pas.

Pourtant, les réalités économiques menacent ce métier de "défricheur d’itinéraires"...

Être le moins cher, ou tout simplement à égalité de prix avec une concurrence décuplée par l’apparition d’internet, signifie souvent la mort des investissements nécessaires à la réalisation d’itinéraires originaux.

Rémunérer une personne expérimentée 15 jours ou 3 semaines a un coût ; s’y ajoutent les frais d’aérien, de nourriture et logement, de déplacements…
Et cet investissement peut se trouver ruiné en quelques secondes par une situation géopolitique instable ou un attentat ayant parfois lieu à une distance notoire du lieu de séjour, lui-même totalement sûr.

Ces reconnaissances sont d'abord une question d’éthique pour nous, artisans du voyage »…

Paradoxal, pour ne pas dire ubuesque, non ? Alors que les agences utilisent de plus en plus la sous-traitance et que les rachats d’entreprises se multiplient :

En 2004 Voyageurs du Monde rachète Nomade, puis Comptoirs, Déserts, et Grand Nord Grand Large en 2007.

Pendant cette même période, Atalante n’est pas en reste, et rachète Terra Incognita et Cheval d’Aventure…

Et fin 2004, arrive sur le marché, la randonnée en Liberté

Définie par Chamina-voyages, l’agence qui l’a instaurée, comme étant des randonnées sans accompagnement (en majuscules et en gras dans le texte initial).

Elle s’adresse à un randonneur « qui veut partir quand il le désire, avec les personnes de son choix » (sous-entendu sans se voir imposer la présence de personnes autres que celles de son choix), aux dates voulues (pas de contraintes de départ), et au rythme souhaité.

La condition étant de savoir lire une carte et posséder des notions d’orientation.

On le voit, rien de bien restrictif.

En octobre 2004, Trek Magazine publiait un article sur la question (Trek Magazine N°59, octobre 2004), intitulé : « Une formule light qui va aller loin… ».

Cet article présentait la randonnée en liberté, du point de vue exclusif des agences de voyage d‟aventure″ qui commençaient à en faire un business.

Dans les numéros 60 et 61 de la même revue, des accompagnateurs réagissaient, parfois maladroitement, mais avec un sentiment profond ancré en eux : « on se moque vraiment de nous ».

C’est après avoir pris connaissance de l’article, de leurs commentaires et de la réponse faite par le rédacteur en chef à leurs remarques que je pris la décision de rédiger une lettre ayant valeur de réponse.

Écrite à chaud, elle le fut aussi sous le coup de la colère provoquée quelques jours plus tôt par l’interception d’un courriel, concernant la spoliation de l’itinéraire principal d’un accompagnateur en montagne (photos comprises) par l’agence Nomade aventure, bien connue dans le milieu pour exercer ce genre de pratiques à l’époque ‑ rachetée depuis, qui s’en étonnera ?

Pour preuve que ce sujet interpellait, voici un commentaire reçu de Jean-Pierre Frachon, guide historique d’Atalante qui dirigeait à l’époque l’agence Auvergne du voyagiste.

« Le très bon article de J.P. Lamic paru dans le dernier Trek mag incite à la réflexion sur le rôle et l'utilité des accompagnateurs (et des guides) dans les agences.

Jean Pierre s'exprime dans une revue, c'est bien, mais l'a t'il fait au sein de la société qui le concerne le plus ? Et d'ailleurs qu'il ne cite pas à la fin de son article ! Par discrétion ou par gêne ?

Car c'est bien comme le dit Jean Pierre " pour être moins cher que son voisin" qu'un chef de produit Atalante a souvent dû supprimer, sans aucune concertation avec les intéressés, la colonne accompagnement dans les P.R.P. (Document de calcul des coûts d'un voyage).

Et si Jean Pierre préparait un débat sur ce sujet pour en discuter entre nous ?

J.P.F ».

 

Pour unique réponse, nous reçûmes un silence de plomb…

Depuis, je ne renie rien de ce que j’avais écrit à ce moment-là, mais il me semble important de développer les aspects non abordés à l’époque faute de tribune, et… d’écoute, après avoir fait remarquer que le tourisme dit "responsable" ne peut se passer d'un médiateur qualifié...

Distinguons deux types de randonnée en liberté :

  • Celui commercialisé par l’accompagnateur en montagne (rarement le guide de haute montagne car il est difficilement concevable de conseiller, sans les encadrer, des itinéraires à risque) …

Dans ce premier cas, il s’agit avant tout d’une activité complémentaire, basée sur un savoir-faire propre à la personne émettrice du circuit sur un massif ou un secteur déterminé.

  • Dans le second, nous sommes face à une activité commerciale véritablement lucrative, reposant sur la vente d’itinéraires.

Dans le premier cas, la randonnée en liberté représente une compilation des savoir-faire de l’accompagnateur qui apporte au visiteur une réelle valeur ajoutée, notamment parce que ce produit reposera en grande partie sur son carnet d’adresses et les bonnes relations qu’il entretient avec la population locale dans un massif ou un espace donné.

Par ce circuit il générera une micro-activité économique chez les producteurs locaux de denrées ou objets caractéristiques à la région.

Il contrôle les implications, au niveau du développement local, de ce qu’il fait sur les régions d’accueil.

Dans l’autre cas, nous entrons dans le domaine du commercial pur, conduisant à l’incapacité pour une agence, de vérifier les conséquences de la présence de ses clients sur l’espace concerné, la médiation se résumant à la transmission d'un bout de papier...

Lorsque des agences commercialisent des itinéraires qui sont réellement le fruit de leur propre savoir-faire, l’affaire se complique !

C’est l’apanage en général des structures s’étant toujours appuyé sur les acquis de leurs accompagnateurs, dont une part participe à la production des séjours.

Par ailleurs, comment lutter contre le pillage industriel ?

Telle agence copie les itinéraires de l’autre, ou les revend moyennant des accords commerciaux comme ceux qui existaient entre Atalante et Chamina-voyages durant les premières années de cette nouvelle offre.

Tel client indélicat utilise gratuitement le savoir-faire des personnes qui ont réalisé les itinéraires, après en avoir demandé le descriptif.

Comment ne pas générer ces situations ?

Comment jauger les effets induits sur le long terme ?

Je n’ai pas, pour ma part, jamais eu de réponse à ces questions, et c’est bien cela qui m’inquiète, personne n’étant en mesure d’en donner.

Ce que l’on constate, c’est que ce pillage a bien lieu.

Sur certains des itinéraires que j’ai moi-même créés, je l’estime a minima à 30 % des demandes reçues.

Les problèmes que suscite la randonnée en liberté se voient sur le long terme.

Force est de constater que seulement un nombre très restreint des 4 500 accompagnateurs en montagne diplômés peut vivre de son activité en France.

En Auvergne, dans les Cévennes et les Pyrénées, les randonnées accompagnées se font rares.

Seules les structures qui commercialisent des tout-compris (notamment les Clubs Med des Alpes depuis une quinzaine d’années) et l’activité raquettes à neige en hiver procurent encore des emplois viables.

Indéniablement, beaucoup de ceux qui exerçaient sur les massifs de moyenne altitude avant le développement de cette activité, ont déjà dû se convertir, se recycler, ou tout au moins se diversifier, voire s’exiler.

Nous avons tous compris que cette randonnée en liberté des catalogues bien remplis ne constitue qu’une réponse économiquement rentable à une tendance certaine du marché : aller vers le moindre coût (en supprimant les prestations de l’accompagnateur en montagne), aller vers le besoin d’indépendance de la clientèle, qui parce qu’elle dispose d’un GPS et d’un téléphone portable se sent capable d’affronter seule toutes les situations.

Tendance que l’on retrouve bien sûr dans la gamme des voyages de découverte, mais qui se trouve amplifiée par l’offre « randonnées en liberté ».

Fin 2007, après avoir créé tous les séjours à Cuba, en Équateur, en Sicile et aux îles Éoliennes, en Slovénie, en Croatie, et l’ensemble des séjours en raquettes à neige en France et en Turquie, figurant sur le catalogue Atalante , il ne me restait plus que celui de Calabre à accompagner…

L’année précédente, deux pseudo-guides s’étaient présentés à mes partenaires et amis des îles Éoliennes en tant que personnes de ma connaissance pour leur demander de leur proposer les mêmes tarifs…

En dépit des promesses du chef de produit arrivé là en tant que stagiaire…, celui-ci ne me proposa plus aucun accompagnement sur mes destinations de prédilection par la suite…

Mon cas personnel n’a de valeur que parce qu’il reflète celui de beaucoup d’autres accompagnateurs… et montre la réalité d’une éthique de façade…

Tandis qu’Atalante communiquait à tout va sur le tourisme responsable via l’Association Agir pour le tourisme Responsable (ATR) dont elle était à l’origine en 2004, je créais l’Association des Voyageurs et voyagistes Éco-Responsables en octobre 2007 après avoir envoyé à l’ensemble de mes collègues un courriel expliquant les raisons de ce choix risqué…

Je pense pouvoir dire après avoir reçu divers commentaires, qu’il obtint un très bon accueil…

 

Jean-Pierre Lamic, accompagnateur aventure et concepteur d'itinéraires depuis 1982.

Certains passages de ce texte sont issus de "Tourisme durable - Utopie ou réalité?" , L'Harmattan 2008, d'autres sont tirés de "Écotourisme et tourisme solidaire, 35 ans à la rencontre de l'Autre", Kalo Taxidi, 2018.

≠TourismeDurable - ≠ActeursEcotourisme - ≠Ecotourisme - ≠TourismeDeNature -≠SlowTourisme

©Photos : Jean-Pierre Lamic

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Et ici l’article qui vous en dit plus à ce sujet

Auteur : 
Jean-Pierre LAMIC

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