Historique du voyage dit d"aventure" - 1969 - 2001

À l’heure de l’industrialisation massive du tourisme dit d « aventure », il nous a semblé opportun de revenir sur l’historique du secteur.

Mon premier contrat de travail en tant qu’ « accompagnateur aventure », terminologie figurant sur celui-ci, date de 1982…, mon premier trekking au Maroc de 1983…

Le texte qui suit a été publié à 99% dans l’ouvrage « Tourisme durable – utopie ou réalité ? » - Éditions L’Harmattan – Avril 2008, qui n’est plus disponible en librairie (remplacé par « Tourisme durable - De l’utopie à la réalité », publié en 2019).

 

L’histoire du voyage-aventure se confond avec les rêves d’enfants de ses pionniers et leurs successeurs, sous l’influence principalement de lectures qui ont bercé des générations : Jules Verne, Jack London, Théodore Monod, Nicolas Bouvier, Tintin, et même Astérix sont en grande partie à l’origine de cette idée du voyage.

 

La télévision des années 60 à 80 avec les émissions du Commandant Cousteau, de Paul Emile Victor, d’Aroun Tazieff, de Philippe Dedieuleveu, etc., a de plus largement contribué à la vulgarisation de l’aventure.

 

Ces lectures et rêves télévisuels ont poussé toute une jeunesse bercée par mai 68 sur les routes du Sahara et du Moyen-Orient.

La traversée Nord-Sud de l’Algérie financée par la revente en Afrique noire des véhicules utilisés ; celle reliant Istanbul à l’Afghanistan ; la montée vers le Cap Nord sont devenus les itinéraires mythiques de cette époque.

Les héroïques 4L, 2CV, et 504 ont obtenu une bonne part de leurs galons et lettres de noblesse dans ces trajets au long cours.

Cette époque d’insouciance s’est achevée à la fin des années 70, avec les changements géopolitiques induits par l’invasion russe de l’Afghanistan et la Révolution iranienne.

SIMON Ted, Les Voyages de Jupiter, Paris, Albin Michel, 1980

Pour ma part, « accompagné » par Ted Simon et ses Voyages de Jupiter, je faisais tout à l’envers, juché sur un deux-roues qui finit par faire le tour du compteur : les traversées Nord-Sud du Maroc, me heurtant ainsi à l’armée locale en proie avec le Front Polisario, et Est-Ouest de l’Algérie, naviguant entre le Nord et le Sud, sur un axe ayant la forme d’une dent de scie !

Quant au Moyen-Orient, je suis arrivé trop tard pour dépasser le mont Ararat !

De cette époque datent quantité d’exploits anonymes, réalisés non pas pour paraître, mais par réel attrait pour l’aventure.

Il s’agissait avant tout de pimenter une vie, qui sans cela aurait pu ressembler à celle de nos parents, employés à vie dans les entreprises qui ont fait les trente glorieuses et généré le célèbre métro, boulot, dodo.

Le niveau de vie relativement modeste d’une large partie du monde, y compris en Europe, permettait au jeune occidental de réaliser ces voyages, parfois sur de longues durées, grâce à une faculté d’adaptation certaine et à une motivation qui faisait s’accommoder de petits boulots et de vie à la dure.

Ces aventures ont fréquemment abouti à des révélations de soi, notamment au travers des rencontres qu’elles ont inévitablement engendrées.

Peu à peu, de la simple recherche d’aventure pour échapper à un quotidien monotone, l’on est passé à la quête de rencontres et d’échanges interculturels.

 

De ce choc entre des cultures que tout opposait, sont nées les premières expéditions sahariennes. Le dromadaire prenait pour la première fois la place de la 2CV !

L’étape suivante fut franchie peu de temps après : faire partager à d’autres occidentaux ces expériences basées sur la rencontre avec des Touaregs ou des Berbères.

L’acte fondateur est peut-être cette première traversée Tamanrasset ‑ Janet réalisée par Odette et Jean-Louis Bernezat en 1974.

Ainsi naquirent Hommes et Montagnes (1969 – aujourd’hui disparue), Terres d’Aventure et Explorator (1976), tandis que le Club Méditerranée emboîtait le pas de l’aventure à partir de ses villages de vacances dont le standing d’alors n’avait rien à voir avec le niveau de confort actuel (activité qu’il a maintenu jusqu’à la fin des années 80, abandonnant ce marché au moment où il devenait le plus porteur en 1987).

 

L’activité n’était régie par aucune règle contraignante, les notions de sécurité étaient des plus élémentaires, et l’hygiène parfois balbutiante.

Pourtant par la volonté de quelques guides, et pionniers du voyage-aventure, de nouveaux itinéraires se sont créés, plus loin, plus haut, au cœur même d’espaces quasi vierges.

Petit à petit, les catalogues se sont étoffés et au début des années 80, l’Europe est elle aussi devenue un terrain d’aventure, bénéficiant de la fin des dictatures en Grèce, en Espagne et au Portugal, et du développement rapide des infrastructures relatives au transport.

 

À partir de 1995, d’autres formes d’aventures ont vu le jour : les raquettes à neige se sont développées ainsi que le ski de randonnée, le canyoning, le rafting, les raids à V.T.T, à cheval…

Ces voyages se sont démocratisés et le marché s’est développé rapidement.

Quelques-uns des acteurs de ce tourisme d’aventure ont entrevu des nouvelles potentialités ou envisagé une autre approche.

Certains d’entre eux se sont lancés dans la création de nouvelles structures que l’on peut qualifier de troisième génération.

Ce passage à l’acte s’est parfois déroulé dans la douleur vis-à-vis de l’agence mère qui s’estimait trahie ou reprochait à la personne qui s’affranchissait d’avoir pillé son savoir-faire.

Dans ce cas, le dilemme reposait sur trois piliers : les itinéraires, les réceptifs et le fichier clients.

Toute agence d’aventure était effectivement détentrice d’un savoir-faire important, et il est de moins en moins aisé de le protéger des divers appétits.

Internet joue sur ce point un rôle à effets pervers multiples.

 

Depuis le début des années 2000, le marché de l’aventure fait des envieux, et continue de se développer et se diversifier.

Et depuis cette époque,  on a assisté à la naissance d’un phénomène qui a déjà fait des ravages dans bien des économies, et dans le secteur du tourisme après la première guerre du Golfe : les regroupements, les fusions, les rachats.

La guerre du Golfe a fragilisé les comptes de nombreuses entreprises.

Dès 1991 l’on a assisté à des restructurations importantes dans le secteur du tourisme dit "classique".

Elles passaient en premier lieu par la diminution des coûts qui ont abouti à une baisse des marges, donc des salaires, et à la mise au chômage de bon nombre de guides accompagnateurs de terrain (100 accompagnateurs chez Jet Tours en 1990, 7 en 2000).

Avant la première guerre du Golfe les marges flirtaient parfois avec les 40 %.

Depuis le début des années 2000, elles se situent partout en deçà des 30 % et demeurent plus proches des 20 %.

Si 40 % de marges était élevé, certainement trop, 20 % n’est pas suffisant au bon fonctionnement d’une agence d’aventure, d’où un problème récurrent de trésorerie.

Aux mêmes maux, l’on applique donc les mêmes remèdes : les concentrations qui génèrent perte d’identité, frustrations des salariés débouchant sur un turn-over important, emplois de plus en plus précaires et détérioration des rapports avec le client, qui lui, et ce n’est pas le moindre des paradoxes, a toujours le sentiment de payer trop cher…

 

On est alors en droit de se poser des questions sur le rapport entre les voyages-aventure et un tourisme qui se veut durable, d’autant que plusieurs agences parlent de plus en plus ouvertement d’éthique.

Cette prise de conscience n’est en fait que la résultante d’une constatation : beaucoup d’espaces sont saturés.

En 1997 déjà !, Atalante avait fait du bruit dans le milieu et servi d’aiguillon, lorsqu’elle a décidé de ne plus utiliser les charters pour la Mauritanie, pour cause de sur fréquentation avérée autour de l’aéroport utilisé.

 

Cette décision à l’époque n’a pas toujours été bien comprise, et fut assimilée par certains à l’abandon pur et simple de la destination par Atalante.

Ce qui a bien entendu eu des répercussions négatives sur ses ventes dans ce pays.

Pour cette raison, il est difficile d’imaginer qu’une telle décision puisse être de nouveau prise aujourd’hui, même si les cas de surfréquentation de certains lieux n’ont fait que s’aggraver un peu partout sur la planète.

Les guides de voyages, offices de tourisme, et publcations Internet en portent également une large responsabilité...

Ces questions deviennent primordiales quand on sait qu’un voyagiste d’aventure propose en moyenne une cinquantaine de destinations et que certains couvrent dorénavant la quasi-totalité des territoires recevant des visiteurs, utilisant des espaces qui jusqu’à présent n’avaient pas ou peu accueilli de touristes.

Partout, l’on assiste à une prise de conscience : il faut s’organiser, prendre des décisions communes, ce qui donne lieu à de nombreuses actions de greenwashing (verdissement de l'offre)...

Les agences d’aventure deviennent, par le nombre croissant de participants qu’elles font voyager, les utilisateurs principaux des espaces protégés ou à sauvegarder de la planète : Parcs nationaux, Parcs naturels, réserves marines, déserts, forêts primaires, volcans…

D’où l’importance d’une prise de conscience concertée de l’impact de leurs actes sur l’environnement naturel et humain des contrées visitées.

S’il s’agit du défi principal à relever pour l’avenir, celui de la sécurité représente également un enjeu notoire, au regard du nombre croissant de personnes concernées et de pratiques récemment développées, telles l’abandon de l’emploi de guides qualifiés (initiée par Club Aventure sur le Kilimandjaro dès 1997 et suivi par l'ensemble des agences "d'aventure" de taille importante dans le cadre de leur cheminement vers l'industrialisation.

Symbole de cette mutation : en 2001, Daniel Popp, fondateur de Terres d’Aventure « vend » sa structure à Voyageurs du monde et abandonne le secteur, conscient des changements en cours…

Elle comptait à l’époque 20 000 clients et 55 salariés…

Le voyage dit d"aventure" changeait alors totalement d'approche...

Nous publierons la suite de l'histoire très prochainement...

Jean-Pierre Lamic, guide-accompagnateur et concepteur de voyages aventure depuis 1982.

 

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Alors, merci à tous ceux qui soutiendront ce travail d'information.

Voici le lien vers notre cagnotte en ligne

Et ici l’article qui vous en dit plus à ce sujet

Auteur : 
Jean-Pierre LAMIC

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