Surtourisme au sein d’espaces naturels : Est-il inéluctable ?

L’après Covid a généré en certains espaces et parcs naturels, ou espaces protégés, un afflux de visiteurs, peu conciliable avec l’indispensable nécessité de protéger la biodiversité dans ces milieux fragiles par essence.

Dans ces espaces, il est plus juste – et souvent mieux accepté - d’évoquer le terme plus ancien de sur fréquentations qui généralement sont concentrées sur certains lieux, selon les périodes et la météorologie.

Sans que l’on puisse définir véritablement à partir de quel moment, de quelle densité de visiteurs, on peut évoquer une sur fréquentation.

En effet, si elles dépendent évidemment d’un certain nombre de visiteurs, il convient également de considérer le territoire et ses composantes : faune, flore, fragilité des sols, etc.

Le premier Parc national établi en France - avec beaucoup de retard sur ses voisins - a été instauré en 1963.

Il s’agit du Parc National de la Vanoise.

À l’époque, il était prévu qu’il puisse accueillir 20 000 visiteurs / an.

En 1996, devant un afflux évident, il fut décidé d’effectuer une étude de fréquentation.

Celle-ci révéla qu’il existait cinq entrées principales pour pénétrer à l’intérieur de la zone centrale, à partir de la zone périphérique (appellations de l’époque – cœur de Parc et zone d’adhésion aujourd’hui).

Elles drainaient à elles seules près de 170 000 visiteurs par an qui se croisaient et se suivaient, parfois sur de longues files ininterrompues.

Le nombre total de journées-visites en zone centrale pour l’ensemble de la saison d’été 1996 s’élevait à 345 640.

Ces visites se répartissaient traditionnellement sur une courte période, allant principalement du 1er juillet au 20 août.

Ce chiffre rapporté sur cette période, et pour les jours de beau temps, donnait un chiffre de 7 000 personnes / jour réparties sur ces 5 portes d’entrée, soit plus de 1 000 par jour, par entrée.

L’étude confirmait par ailleurs des données récoltées en 1979 dans le Parc des Écrins : Environ le quart des personnes accédant au parking s’éloignait de moins d’une demi-heure de son véhicule.

Dans cette zone, ces études révélaient l’existence majoritaire d’un visiteur pouvant être défini comme touriste consommateur de paysages.

Il vient pour voir, mais aussi pour être photographié en ce lieu de renom et au cours de ses vacances, il va collectionner les sites qu’il faut avoir vus.

Enfin, celle du Parc National de la Vanoise montrait que seulement 6% des visiteurs restaient plus d’une journée au sein de l’espace protégé et passaient au moins une nuit en refuge.

Contrairement à une idée reçue, le tourisme de montagne a baissé régulièrement de 2001 à 2006 environ (ce qui explique la création d’activités multiples pour faire (re)venir les clientèles).

Il avait déjà repris de manière notoire avant la crise liée au Covid.

On voit donc avec cet historique que durant plusieurs dizaines d’années, c’est le laisser-faire, et les constats qui ont prévalu à la gestion de cet espace pourtant protégé.

Photo ci-dessous - Jean-Pierre Lamic - Étagne et ses jeunes - Parc National de la Vanoise

 

Et il faut aussi reconnaître qu’en dépit d’une non-gestion contrôlée des flux touristiques, la faune est revenue, parfois au-delà des espérances, notamment avec le retour de prédateurs et charognards, signe que le nombre d’herbivores avait augmenté (En cœur de parc se trouvent aujourd’hui environ 5 000 chamois – 2 500 bouquetins, et de nombreuses marmottes).

Plus bas le nombre de cervidés a augmenté pour stagner, voire régresser aujourd’hui (L’une des raisons essentielles semble être une conséquence de l’élévation des températures : Les neiges deviennent lourdes et peu propices aux déplacements de ces ongulés qui ne peuvent plus trouver de nourriture après les chutes de neige).

En revanche, la flore, elle ne cesse de s’appauvrir par la réduction des espaces en herbe au profit de forêts, privant les plantes de lumière, et par l’abandon de certaines prairies de fauche.

Avec de nombreuses forêts privées non entretenues.

Photo ci-dessous - Jean-Pierre Lamic- Pralognan la Vanoise

L’importance d’une approche scientifique

Au laisser faire, il est par conséquent indispensable de substituer une méthodologie basée sur des connaissances scientifiques (Qui sont ces spécialistes en France ? – Et surtout, pourquoi les écoute-t-on si peu ?).

 Ainsi, Emeline Hatt et Sylvie Clarimont. Dans un document intitulé « La gestion des fréquentations dans les territoires touristiques : un enjeu des politiques publiques pour préserver et valoriser le patrimoine naturel, en France », indiquent :

« Les gestionnaires des territoires sont rétifs à intégrer le concept de capacité de charge dans leurs modes d’action publique.

Ils n’ont que rarement mis en place des systèmes de mesure ou d’observation évaluant les capacités limites, les charges maximales, les seuils de tolérance dont pourrait se saisir le processus de planification local pour articuler à long terme les effets bénéfiques de la fréquentation avec la volonté de préservation et le développement économique qu’elle est censée apporter ».

Avant toute exploitation touristique ou acceptation de visiteurs il serait par conséquent primordial de pouvoir fixer des seuils de tolérance qui détermineront la capacité de charge touristique, c'est à dire le nombre maximum de visiteurs que peut tolérer un écosystème donné (j’inclus dans ce terme, l’activité humaine rurale et traditionnelle là où elle existe encore) sans subir de dégradations, voire de permettre et planifier la régénération des écosystèmes.

Le rôle de la communauté scientifique dans la détermination de la capacité de charge est donc déterminant.

Concernant la capacité de charge des territoires « Les composantes de ce degré de fréquentation acceptable sont : la capacité d’accueil des infrastructures, la capacité physique du territoire (en termes de sécurité), les capacités écologiques (disponibilité et état de conservation des ressources naturelles), la capacité psychologique des locaux et des visiteurs ». (Auduit, 2008).

Photo Jean-Pierre Lamic - Groupe d'enfants - Les deux têtes - Les Arcs

 

En effet, outre le nombre de visiteurs toléré, il convient également d’agir sur le type de public requis : contemplatifs ou consommateurs ne génèrent pas les mêmes impacts sur l’environnement. 

Le Gouvernement espagnol a réalisé une étude poussée à propos de cette notion, qui énonce ceci :

 «20 visiteurs mal informés et avec des conduites irrespectueuses (Par exemple se promenant avec leurs chiens – encore pire s’ils ne sont pas tenus en laisse), peuvent produire beaucoup plus d’impacts que 200 visiteurs bien informés ayant une conduite favorable à la conservation ».

Par ailleurs, on ne peut se contenter d’une étude préalable ; il est également nécessaire de réactualiser ces données régulièrement.

Une fois ces études effectuées, il devient possible de déterminer un certain seuil de tolérance au-delà duquel on estime qu’il y aura dégradation(s).

Par le passé, les forestiers français avaient déterminé qu'au-delà de quatre personnes par hectare et par jour, la forêt est en danger.

Aux États-Unis, en dépit des 250 millions de visiteurs par an dans les Parcs Nationaux dans les années 90, les seuils étaient maintenus autour de 2 visiteurs par hectare et par jour.

Aujourd’hui, aucun chiffre ne circule pour ne pas faire consensus, sans doute, et parce que ce chiffre peut varier considérablement selon plusieurs paramètres.

L’Espagne les a intégrés dans un savant calcul mathématique issu de diverses recherches effectuées de 1991 à 2006, formule appliquée à chaque espace protégé.

Celle-ci est complétée par des enquêtes effectuées auprès des utilisateurs, amenés à se prononcer :

L’espace vous semble -t-il peu fréquenté, trop fréquenté, ou avec beaucoup de personnes en certains lieux déterminés ? Questions complétées par la détermination des motivations du visiteur.

Elle définit ensuite une capacité d’accueil ajustée à chaque aire protégée, lors de la conception des infrastructures à prévoir : centre d’accueil, parkings, etc.

Photo Jean-Pierre Lamic - Présentation muséographique - Centre d'accueil PN de Monfraguë (Espagne)

 

La conception des infrastructures d’accueil

La logique suivant ce qui précède est de prendre en compte ce travail effectué de manière scientifique pour réaliser les infrastructures d’accueil, si possible en utilisant une architecture respectueuse du territoire.

Aux scientifiques, s’agrègent des architectes et des spécialistes de la muséographie, afin de pouvoir réaliser un lieu adapté, prévoyant l’indispensable information préalable.

Idéalement, ces structures seront tenues, gérées et animées par des personnes issues des communautés locales et du territoire.

Ainsi à Cuba, un espace protégé, couplé à des infrastructures de loisirs fait vivre mille personnes.

À Monfraguë ou à la Doñana, en Espagne, ce sont des habitants des villages situés aux alentours de ces Parcs nationaux qui servent de guides, chauffeurs, ou constituent le personnel d’accueil.

Les parkings doivent être adaptés afin de pouvoir contrôler la fréquentation.

Ainsi Le Parc National de la Caldeira de Taburiente à La Palma demande une réservation préalable pour un parking offrant 25 places pour des véhicules de tourisme, et quelques-unes pour des taxis ou des bus.

En Espagne, les Personnes à Mobilité Réduite sont prises en compte également partout, avec parfois des sentiers spécialement aménagés, comme à Monfraguë ou sur le Teide.

 

La Médiation

Qu’elle soit effectuée au moyen de panneaux d’information, de renseignements transmis par le personnel d’accueil, ou par des guides, elle est indispensable.

C’est elle, qui, en partie, permet d’éviter les comportements non appropriés à la conservation.

Elle ne doit pas oublier l’aspect ludique pour les jeunes publics.

Il est certain que la présence de guides permet d’amenuiser les dégradations, d’encadrer les éventuels débordements, de bonifier la compréhension, et d’orienter les publics vers ce qu’ils n’iraient pas obligatoirement voir par eux-mêmes, tout en leur montrant ce qu’ils n’auraient pas vu.

 

Conclusion :  

Évoquer le surtourisme au sein d’espaces protégés renvoie nécessairement à la question de la gouvernance desdits espaces et des territoires les portant.

En toute logique, avec les expériences du passé, celles venues de l’étranger, et les connaissances actuelles, les sur fréquentations devraient pouvoir être gérées en amont, et évitées.

Ce qui offre de multiples avantages :

  • L’impression que l’espace protégé est bien géré et accomplit son rôle de protection et d’information
  • Les mesures coercitives n’ont plus lieu d’être, et si elles apparaissent par obligation, elles sont comprises et plus facilement respectées du fait que d’autres mesures existaient avant
  • Le visiteur profite pleinement de sa visite et de ses expériences
  • Les habitants sont associés à la démarche (À Monfraguë, ce sont eux qui ont demandé la création du Parc)
  • Les nuisances sont considérablement réduites
  • La biodiversité peut se régénérer.

 

Pour en savoir plus : 

https://hal.science/hal-04090440/document : 

"La gestion des sites naturels est confrontée à la difficile articulation entre protection, préservation de « l’esprit des lieux » (le caractère du site) et valorisation, éléments parfois essentiels à l’économie touristique locale ; ceci dans un contexte souvent contraint, marqué par une vulnérabilité des sites face aux risques naturels et par des pressions locales pour les urbaniser ou les équiper​.

 

Rémy Knafou ; https://www.agrobiosciences.org/territoires/article/surtourisme-on-emploie-le-mot-a-tort-et-a-travers :

"En résumé, il existe bien des cas où il est légitime de parler de surtourisme, mais pas aussi nombreux que ce qu’en disent les médias.

Si ce sont des lieux fermés, cela signifie que l’autorité de gestion ne fait pas son travail de conservation, mais cela reste rare.

Si ce sont des lieux ouverts, cela signifie que les pouvoirs publics ne font pas montre d’une détermination suffisante pour introduire une régulation des flux et, surtout, une limitation de leur capacité d’accueil".

 

Marie-Julie Filippini : https://www.agrobiosciences.org/territoires/article/le-sur-tourisme-un-point-de-bascule

"Le « sur » tourisme est donc une forme de mésusage d’un espace, provoqué par un nombre de visiteurs supérieur à ce que le territoire est en capacité d’absorber, dans de bonnes conditions et sans produire d’insatisfaction.

Tous les espaces peuvent y être potentiellement confrontés, ce n’est pas du « tourism bashing », c’est une réalité."

Vincent Vlès - Sylvie Clarimont : https://hal.science/hal-01737515v1/document

"Dans les sites naturels qualifiés d’exceptionnels, la gouvernance et les modalités de gestion des flux de visiteurs, l’amélioration de la qualité et de l’expérience de la visite se posent en termes de mobilités durables, d’accès aux informations de la visite, de consommation collaborative, de participation et de dialogue entre habitants, commerçants, visiteurs et gestionnaires.

Cet article rend compte des principaux résultats d’une recherche qui a évalué la manière dont 7 sites naturels exceptionnels abordent cette question en France. Il tire des expériences menées une série d’enseignements et de questions qui ont été débattues, en janvier 2017 à l’Assemblée nationale, avec les membres du Réseau des Grands sites de France. Il contribue à la connaissance de l’expérience des usagers et à la manière dont elle est prise en compte par les territoires gestionnaires.

L’importance croissante des éléments immatériels dans la régulation des flux de visite de ces sites, le changement radical de paradigme du bien commun
naturel comme ressource à la fois matérielle et immatérielle concourent, par leur valorisation, à cerner la régulation touristique des hauts-lieux.

L’analyse des perceptions et des représentations abonde la connaissance des modes de valorisation de la nature et érige l’intervention concertée avec les visiteurs en facteur majeur de développement local". 

 

#Surtourisme #Espacesprotégés #Biodiversité

 

Le Média du voyage durable est l’unique média totalement indépendant dans le milieu du tourisme responsable, durable, et de l’écotourisme. Il ne dispose d’aucune source de revenus autre que les contributions volontaires de ses lecteurs.

Vous aimez sa liberté de ton ? Les informations délivrées ? Ses portraits ? Alors, merci d’aider les rédacteurs à continuer de vous faire partager leur passion et leurs connaissances.

Pour cela, il suffit de cliquer sur ce lien .

Les articles du Média du voyage durable sont écrits par des auteurs ayant une longue expérience dans ces domaines, véritables spécialistes et experts de ces thématiques.

Auteur : 
Jean-Pierre LAMIC

Ajouter un commentaire